Déclarer la forêt amazonienne bien commun de l’humanité
Avec les dramatiques incendies dans la forêt amazonienne en 2019, l’idée d’internationaliser l’Amazonie, c’est-à-dire de la faire administrer collectivement par la communauté internationale, a été évoquée. Le fondement de cette revendication étant son importance écologique mondiale.
Cette vaste forêt devrait-elle nous appartenir à tous, comme bien commun de l’humanité ? C’est ce que le président Emmanuel Macron lui-même a suggéré en septembre 2019, affirmant également que la France, avec le territoire de la Guyane, était une « puissance amazonienne ».
Des suggestions qui ont suscité le courroux du président brésilien, Jair Bolsonaro, et de son gouvernement ; le ministre de l’Éducation nationale, Cristovam Buarque, a alors riposté qu’internationaliser l’Amazonie, impliquerait d’internationaliser également « les réserves de pétrole du monde entier », « le capital financier des pays riches », et « tous les grands musées du monde ».
Il est intéressant de faire un retour en arrière historique et de rappeler que cette idée d’internationaliser l’Amazonie a déjà été formulée dans le passé, en particulier dans le cadre des Nations-Unies.
Un projet onusien
En 1946, l’Unesco (organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), développe un projet allant dans ce sens. Cette année-là, le scientifique brésilien Paulo de Berrêdo Carneiro préconise que l’Unesco établisse un « Institut international de la forêt amazonienne » (IIHA). Le biologiste et zoologue britannique Julian Huxley, directeur général de l’Unesco et frère de l’écrivain Aldous Huxley, y est très enthousiaste.
Ce projet répond à plusieurs motivations : approfondir la connaissance scientifique de la forêt amazonienne, développer la coopération scientifique internationale entre chercheurs de tous les pays… et surtout travailler à la mise en valeur des ressources naturelles de cette forêt, et notamment le bois et les minéraux dont elle regorge, au bénéfice des populations, afin de contribuer au développement économique de l’Amérique latine.
Le but étant par exemple d’améliorer les techniques de mise en valeur agricole et les conditions de santé des Indiens, victimes de nombreuses maladies. Le projet, à cette époque, vise davantage à exploiter les ressources de la forêt qu’à la préserver, préoccupation plus récente.
Une « Commission internationale pour la création d’un institut international de l’hyléa amazonique » est alors mise en place en 1947. Et un plan de travail est élaboré en février 1948.
Une internationalisation controversée
En mai de la même année, l’Unesco lance une enquête visant à réunir toutes les données possibles sur la région. Six mois plus tard, elle envoie une mission scientifique dans la vallée du Rio Huallaga, dans la partie péruvienne de l’Amazonie.
Mais ce projet se heurte à de vives oppositions de la part de plusieurs pays, comme les États-Unis. Ils reprochent à la mission de détourner des fonds de l’Unesco vers une recherche scientifique très spécialisée et sans lien avec les véritables objectifs de l’Unesco.
Beaucoup craignent que ce projet ne devienne un échec retentissant, et entame la crédibilité de la jeune organisation. Bien qu’il jouisse du soutien de l’opinion brésilienne et péruvienne (avide de recevoir une aide de l’Unesco), ainsi que d’une partie de la presse occidentale, le projet suscite en fait de plus en plus de critiques – portant essentiellement sur le financement et les écueils administratifs du projet. Devant les multiples obstacles qui se dressent devant lui, il échoue finalement.
Parallèlement, l’Unesco envisage à partir de 1947 la création d’un « Institut international de la zone aride », et d’un « Institut international de l’Antarctique ». Julian Huxley rédige en 1948 un « mémorandum sur la possibilité d’internationalisation de la recherche scientifique dans l’Antarctique ». Pour lui, cela permettrait de développer une recherche plus efficace, moins axée sur la concurrence entre nations, et qui constituerait un pas en avant dans la coopération internationale.
En ces années d’après-guerre, l’idée d’« internationaliser » des zones naturelles d’importance écologique mondiale était donc dans l’air du temps, même si elle n’aboutit pas à l’époque.
Des objectifs qui évoluent dans le temps
Au fil des décennies, d’autres idées éclosent dans cet esprit. Ainsi, en 1967, le futurologue américain Herman Kahn, du think tank conservateur Hudson Institute, suggère de barrer le fleuve Amazone pour créer un « grand lac continental » qui faciliterait la circulation entre les pays limitrophes et permettrait de produire de colossales quantités d’énergie.
Cette idée est « prise très au sérieux par les militaires, au pouvoir depuis le coup d’État de 1964 », comme le relate le journaliste Renaud Lambert. Ce dernier rappelle aussi que, « au XIXe siècle, l’hydrographe et météorologue Matthew Fontaine Maury, directeur de l’Observatoire naval de Washington, avait proposé de régler la question raciale aux États-Unis en colonisant l’Amazonie pour y déplacer la population noire américaine » ! La forêt amazonienne a donc suscité au fil du temps les projets et les fantasmes les plus farfelus…
Aujourd’hui, on s’intéresse à la forêt amazonienne non seulement pour son potentiel écologique (arbres émetteurs d’oxygène, réserve de bois, de minerais, écosystème, biodiversité), mais aussi pour les humains qui la peuples. Il s’agit de protéger les peuples autochtones, amérindiens, qui y vivent, contre les ravages de l’agrobusiness et du capitalisme déchaîné incarné par le président Jair Bolsonaro.
Défense de l’Amazonie et lutte des classes
Depuis l’assassinat du leader syndicaliste brésilien Chico Mendes en 1988, travailleur amazonien qui défendait les droits des seringueiros, ouvriers chargés de recueillir le latex dans les plantations d’hévéa de la forêt amazonienne, la question de la gestion de la forêt amazonienne a également une dimension de lutte des classes. « Chico Mendes est devenu et est resté l’un des symboles de la défense de l’Amazonie » et plus généralement de l’environnement et du développement durable.
Sa mort a donné lieu à une prise de conscience et à la décision que plusieurs millions d’hectares de forêt amazonienne soient déclarés « réserves d’extraction » (ce qui signifie que le défrichement y est interdit) au Brésil, inspirant le programme de l’Unesco « Man and Biosphere » (MAB) qui délimite des « réserves de biosphère », et remettant à l’ordre du jour les projets d’internationalisation de l’Amazonie.
L’assassinat, le 1er novembre 2019 du jeune leader indigène Paulo Paulino, membre de la tribu des Guajajara et militant défenseur de la forêt amazonienne, lors de heurts avec des trafiquants de bois, a également remis sur le devant de la scène les tensions et les enjeux antagonistes que suscite cette forêt.
Octroyer à la nature une personnalité juridique ?
Certaines mesures prises ailleurs dans le monde en faveur de la forêt peuvent également servir de modèles, ou en tout cas de bases de réflexion. Ainsi, en 2014, la Nouvelle-Zélande a proclamé que les arbres de la forêt Te Urewera seraient dotés de la personnalité juridique, c’est-à-dire qu’ils ont désormais dotés des mêmes droits que les hommes. Elle a pris la même décision en 2017 pour l’un de ses principaux fleuves, le Whanganui.
Rappelons aussi qu’« en 1972, le professeur de droit américain, Christopher D. Stone, rêvait d’attribuer des droits juridiques aux forêts, rivières et autres objets dits « naturels » de l’environnement dans son provocateur Should Trees Have Standing ? (« les arbres devraient-ils se pourvoir en justice ? »).
Faudrait-il aller jusque-là pour l’Amazonie ? En tout cas, il serait souhaitable que la communauté internationale, représentée par l’ONU, se mette d’accord pour protéger par un accord international sa grande richesse écologique et les peuples qui l’habitent.
Source : https://fr.weforum.org/
- December 27, 2019
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